Je m’étais dit bah, vas-y, force-toi un peu, tu vas peut-être rencontrer du monde intéressant. Enchantée par la publication d’une de mes nouvelles – la deuxième dans la même revue – j’ai pensé aller serrer la pince aux responsables récidivistes. Ça se passait dans une librairie indépendante d’une rue branchée de Montréal, une librairie grosse comme ma main. Sous l’éclairage brut des néons il y avait des revues empilées au milieu du vingt pieds carrés d'espace. Des gens partout, serrés par kit de trois ou quatre. « Vous venez pour le lancement ? » Le propriétaire de la place faisait office d’hôte, fort sympathique d’ailleurs, et a pointé la pile de revues immaculées et flambant neuves en m’invitant à en prendre un exemplaire. J’ai enlevé mon manteau et je me suis dirigée right away vers le mini-bar où le vin m’appelait, question de me calmer les nerfs. J’ai eu le temps, en dix minutes top chrono, de faire le tour, de zyeuter la place et les visages absorbés. J’ai même poussé l’audace en expédiant quelques sourires. J’ai fureté les livres le long des murs, d’un air faussement décontracté, puis je suis allée à la toilette me cacher pendant quelques minutes. Claustrée entre quatre murs, je me suis dit tout bas qu’est-ce que tu fais là ? Tu vas faire ta sauvage, comme d’habitude ? Tu pourrais gueuler « Je parle fort, mais je ne suis pas ridicule ! » comme dans un film de Robert Lepage. Au lieu de cela, j’ai tenté quelques pas supplémentaires dans la foule, j’ai lu en diagonale quelques passages de la revue et finalement, je me suis décidée à aller chercher mon manteau dans l’arrière-boutique. Il était là, quelque part parmi les autres, dans une montagne qui rappelait un vestiaire du Jour de l’An. D’un pas régulier, je me suis dirigée vers la sortie. Trois mecs fumaient dehors. L’un d’eux s’est retourné vers moi et m’a remercié d’être passée. Un organisateur peut-être. Ou un membre du comité. J’aurais pu lui demander son nom, je ne sais pas, me présenter vaguement. Je me suis contentée d’un « C’est moi. Bonne soirée » et j’ai mis le cap au nord, lentement, en me disant que j’étais vraiment pas sociable. Dans le métro, j’ai repensé à L’homme isolé de Louis Hamelin.
« Lecteur, si tu rêves toi aussi de devenir écrivain, mais es incapable de comprendre ce que je ressentais lorsque, pendu à un téléphone public sur la bruyante mezzanine du Salon du Livre, j’ai annoncé à ma mère que mon roman était accepté et sortirait chez Québec Amérique, je te conseille de faire carrière dans la Sûreté du Québec. [1]»
Je ne suis que l’auteur de quelques textes parus dans des revues, un auteur de type B selon les règles du CALQ. Entre un quart de travail à mettre des pots d’urine dans des sacs biorisque et un quart uqamien à essayer de finir mon bac, j'avance mes trucs. Quand le temps sera venu, je n’appellerai peut-être pas ma mère puisqu’elle ne répond plus au téléphone depuis longtemps, mais chose certaine, je ne ferai jamais une carrière dans la Sûreté du Québec.
« Lecteur, si tu rêves toi aussi de devenir écrivain, mais es incapable de comprendre ce que je ressentais lorsque, pendu à un téléphone public sur la bruyante mezzanine du Salon du Livre, j’ai annoncé à ma mère que mon roman était accepté et sortirait chez Québec Amérique, je te conseille de faire carrière dans la Sûreté du Québec. [1]»
Je ne suis que l’auteur de quelques textes parus dans des revues, un auteur de type B selon les règles du CALQ. Entre un quart de travail à mettre des pots d’urine dans des sacs biorisque et un quart uqamien à essayer de finir mon bac, j'avance mes trucs. Quand le temps sera venu, je n’appellerai peut-être pas ma mère puisqu’elle ne répond plus au téléphone depuis longtemps, mais chose certaine, je ne ferai jamais une carrière dans la Sûreté du Québec.
[1] Louis Hamelin, L’homme isolé, Montréal, Éditions Trois-Pistoles, coll. Écrire, 2006, p.41.